La tentation écofasciste. Écologie et extrême-droite (Écosociété, 2023).
résumé de ce livre de Pierre Madelin : Le lien entre l’extrême droite et la défense de l’environnement n’a rien d’évident. Pourtant, il existe bel et bien une pensée écofasciste au sein de la grande famille des idéologies nationalistes et identitaires. Démographie, tensions entre localisme et universalisme, immigration… Les théories écofascistes sèment un certain trouble dans l’écologie politique. «Il me semble raisonnable de penser que plus la crise écologique s’aggravera, plus les options démocratiques et émancipatrices dont nous disposons pour y faire face s’amenuiseront, et plus au contraire des solutions extrêmes, aujourd’hui encore impensables, risqueront de s’imposer», écrit Pierre Madelin dans ce livre Une lecture indispensable pour mieux combattre cette alliance entre le «brun» et le «vert». Son livre différencie aussi explicitement le mouvement écofasciste et le néomalthusianisme.
Résumé de l’introduction du livre de Pierre Madelin
Le 15 mars 2019, à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, Brenton Tarrant tuait dans plusieurs mosquées 51 personnes et en blessait 49 autres. Dans son manifeste, il écrivait : « Je me considère comme un écofasciste. (…) L’immigration et le réchauffement climatique sont deux faces du même problème. L’environnement est détruit par la surpopulation, et nous, les Européens, sommes les seuls qui ne contribuent pas à la surpopulation. Il faut tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation, et ainsi sauver l’environnement. »
Jusqu’alors, c’est peu dire que l’extrême-droite avait principalement brillé par son mépris pour les enjeux écologiques. Mais comme il existe de fortes chances que l’articulation entre thématiques écologistes et thématiques identitaires, encore embryonnaire aujourd’hui, s’intensifie au cours des années à venir à mesure que les crises écologiques et migratoires vont s’exacerber, j’espère que ce livre constituera une ressource utile pour toutes les personnes désireuses de mieux comprendre les enjeux.
Tout en admettant que la crise du capitalisme, qui dure depuis les années 1970, est propice aux évolutions autoritaires du système et à l’avènement d’« états d’exception », d’autres intellectuels estiment en outre que les conditions ayant présidé à l’avènement de régimes fascistes au siècle dernier ne sont plus réunies aujourd’hui. Indéniablement, il y a du vrai dans cette critique, d’autant plus entendable que certains milieux d’extrême-gauche semblent trouver un malin plaisir à voir du fascisme partout et à taxer de fascistes quiconque ne partage pas leurs positions, contribuant ainsi à discréditer un terme dont l’usage hyper-extensif et souvent paresseux semble dispenser de toute analyse politique sérieuse. C’est faire fi de l’avertissement lancé par Robert Paxton dès 2004 : « Le fascisme du futur – réaction en catastrophe à quelque crise non encore imaginée – n’a nul besoin de ressembler trait pour trait, par ses signes extérieurs et ses symboles, au fascisme classique. Un mouvement qui, dans une société en proie à des troubles, voudrait ‘se débarrasser des institutions libres’ afin d’assurer les mêmes fonctions de mobilisation des masses pour sa réunification, sa purification et sa régénération, prendrait sans aucun doute un autre nom, et adopterait de nouveaux symboles. Il n’en serait pas moins dangereux pour autant. »
Mais quid de la Nouvelle Droite, qui a été à l’avant-garde de « la contre-révolution écologique des droites dures » et qui n’a cessé de vilipender le nationalisme étroit de la formation frontiste. Le conservatisme ? Si l’on entend ce terme au sens moral et qu’on l’associe à une législation punitive en matières de mœurs – par exemple concernant l’avortement – il va sans dire que ce critère n’est pas plus pertinent. La Nouvelle Droite française s’est toujours moquée du puritanisme, notamment dans le domaine de la sexualité, et les néo-malthusiens américains hostiles à l’immigration sont pour la plupart d’ardents promoteurs du contrôle des naissances et de l’accès à la contraception. L’attachement à la nature ? Il révèle lui aussi son lot de divisions, et il existe au sein des écologies d’extrême-droite comme dans les autres familles de l’écologie politique une tension évidente entre une nostalgie agrarienne pour des paysages façonnés par des communautés paysannes, et une nostalgie primitiviste pour des paysages sauvages e menacés par la croissance démographique.
En Finlande, le naturaliste Pentti Linkola, mort en 2020, est sans doute l’un des seuls auteurs à s’être explicitement revendiqué de l’éco-fascisme. Opposé au progrès technologique, à la croissance économique, Linkola en appelait à la formation d’une élite écologique et d’un gouvernement centralisé capable de contrôler et de réguler le règne destructeur de l’égoïsme et des désirs individuels qu’il associait à la démocratie. Favorable au contrôle de la population (« l’excès de vie est la plus grande menace qui pèse sur la vie », à l’arrêt du commerce international et de l’immigration, il était également un décroissant convaincu, notamment au niveau des moyens de transport. Partisan d’une nationalisation et d’une réduction drastique de la production industrielle, il souhaitait que les voitures personnelles soient confisquées et abandonnées au profit des vélos, des bateaux à rame et des carrioles à cheval, et que les rares voyages de longue distance subsistants soient effectués au moyen de transports collectifs réduits au minimum.
S’il est probable que les récentes évolutions localistes et écologistes du FN/RN en France répondent pour l’instant avant tout à une visée stratégique et électoraliste, il me semble en revanche évident qu’un intellectuel comme Alain de Benoist est un écologiste sincère et convaincu. Et s’il est vrai que dans l’hexagone, ce sont la plupart du temps des théoriciens d’extrême-droite qui ont été à l’initiative de ce que l’on pourrait appeler une écologisation du fascisme, il n’en va pas de même aux États-Unis, où c’est plutôt à un processus de fascisation de l’écologie auquel on a assisté. Edward Abbey, Dave Foreman, Holmes Rolston III, Philip Cafaro : autant d’auteurs qui étaient engagés de longue date dans la défense de la nature sauvage et de positions philosophiques écocentrées lorsqu’ils ont commencé à rattacher celles-ci à des thématiques anti-immigrationnistes.
Mais l’objectif de ce livre, c’est de se demander si l’éco-fascisme, par-delà les théories qui le nourrissent et les individus ou les groupes encore marginaux qui s’en revendiquent pour mener des actions violentes, est susceptible d’inspirer, dans un futur plus ou moins lointain, des gouvernements ou des régimes politiques. Il me semble raisonnable de penser que plus la crise s’aggravera, plus les options démocratiques et émancipatrices dont nous disposons pour y faire face s’amenuiseront, et plus au contraire des solutions extrêmes, aujourd’hui encore impensables, risqueront de s’imposer.
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Néo-malthusianisme contre écofascisme
Pierre Madelin : « Garett Hardin[1] affirme que l’humanité habitant désormais un monde clos, aux ressources matérielles et alimentaires limitées, les problèmes posés par la surpopulation ne pourront pas être durablement réglés par la recherche agronomique, l’exploitation des océans ou le développement technologique. Cette inversion radicale du rapport à la technologie et au futur s’est accompagnée d’un revirement total sur la question de la contraception. Alors que Malthus s’y opposait, celle-ci devient un élément phare des politiques publiques défendues par les néo-malthusiens. William Vogt soutenait ainsi qu’il fallait conditionner l’aide internationale au contrôle des naissances et rétribuer les stérilisations volontaires. Puis ce fut au tour d’Ehrlich de se prononcer en faveur de l’émancipation des femmes et du contrôle des naissances, avant que Garett Hardin ne multiplie les interventions en faveur de l’avortement.
Dès les années 1950, les néo-malthusiens ont donc joué un rôle important dans la défense des droits reproductifs – par exemple le droit à l’avortement – et dans la promotion des techniques contraceptives comme la pilule ou le DIU. Ainsi Margaret Sanger, Katherine McCormick, Gregory Pincus et John Rock, quatre personnes ayant joué un rôle central dans le développement des premières pilules, étaient également profondément préoccupées par la croissance démographique. Aussi n’est-il pas surprenant qu’il ait existé dans les années 1960 une alliance significative et largement oubliée aujourd’hui entre féministes et néo-malthusiens. Ces derniers furent nombreux à en appeler à une refondation des rôles sociaux dévolus aux femmes, afin que celles-ci ne soient plus cantonnées à leur « vocation » maternelle.
Mais dans les années 1970, les relations entre féministes et néo-malthusiens se distendent quelque peu. Plus que le simple accès à la contraception, les féministes revendiquent désormais l’autonomie reproductive et réalisent que celle-ci pourrait être menacée par des politiques de contrôle des naissances, dont la vocation ne serait certes plus d’assigner les femmes à leur « fonction » reproductrice, mais d’entraver celle-ci au nom de la protection de l’environnement, qui deviendrait alors un nouvel argument pour nier leur liberté. « Lorsque l’on se demande comment réduire la population à un milliard », peut-on lire dans un texte de l’organisation Women Against Genocide, « ce ne sont pas les riches et les puissants qui s’en iront, mais les pauvres, les noirs et les personnes de couleur, sans parler des femmes qui seront manipulées, stérilisées, empoisonnées chimiquement et assassinées »[2].
Cette critique est-elle justifiée ? Oui et non. Car lorsque elles évoquent les mesures à prendre pour mettre en place des politiques de contrôle des naissances et de décroissance démographique, les grandes figures du néo-malthusianisme diffèrent. Et chez un même auteur, des positions contradictoires et des évolutions notables peuvent apparaître au fil du temps, notamment sur les questions relatives aux classes sociales, au genre et à la « race ». Ainsi Ehrlich, fondateur dès 1968 de l’association Zero Population Growth (ZPG), dont l’objectif est de stabiliser la population américaine, est-il ambigu en ce qui concerne les options coercitives. S’il y est opposé aux États-Unis[3], où il « promeut des méthodes de restriction volontaire de la fertilité (contraception, stérilisation choisie), via la sensibilisation de public et le lobbying politique »[4], il y est en revanche plutôt favorable au niveau international, préconisant même dans certains textes des stérilisations forcées et une aide alimentaire proportionnée aux efforts des pays destinataires en matière de contrôle des naissances.
Quid du racisme, dont le néo-malthusianisme a si souvent été accusé, à tel point que les deux termes se recoupent dans l’esprit de nombreuses personnes ? Dans ce qui reste sans doute à ce jour le meilleur ouvrage consacré à l’histoire de la pensée néomalthusienne aux États-Unis, The Malthusian Moment, auquel ce chapitre doit d’ailleurs beaucoup, l’historien Thomas Robertson a bien montré à quel point il serait simpliste et injuste de réduire Ehrlich à un idéologue raciste. C’est bien Paul Ehrlich, qui défendit lui aussi la nécessité de mettre en place des politiques de redistribution entre le nord et le sud[7], qui alla le plus loin dans ce domaine, s’engageant précocement en faveur du mouvement des droits civiques aux États-Unis, et s’opposant vigoureusement au racisme persistant dans les sciences naturelles et notamment en biologie. Preuve de la longévité de cet engagement, il s’attaqua en 1977 aux positions du prix Nobel William Shockley lorsque celui-ci suggéra que les différences raciales pouvaient être un facteur explicatif de l’intelligence des individus.
Et lorsque ses appels au contrôle des naissances furent critiqués par des groupes afro-américains, qui jugeaient insuffisant son anti-racisme universaliste et estimaient que dans une société profondément raciste[8], toute politique démographique comporterait nécessairement des biais racistes, Ehrlich fit preuve d’une remarquable réactivité :
« Le contrôle de la population peut être perçu comme un complot ourdi par des blancs riches pour supprimer les personnes ‘racisées’ du monde. Et malheureusement, dans l’esprit de certains membres de notre société blanche et raciste, c’est effectivement ainsi qu’elle est envisagée »[9]. A l’encontre de positions qu’il avait pu tenir quelques années plus tôt, il ajouta que la plus grande menace pesant sur la survie humaine n’était pas la croissance démographique des populations du tiers-monde mais celle des américains eux-mêmes, « consommateurs et pollueurs par excellence » . Ehrlich ajoute : « Le bébé américain moyen, écrit Ehrlich, a davantage d’impact sur les systèmes vivants de notre planète que de douzaines d’enfants indiens et latino-américains »[10]. Anticipant la critique du racisme environnemental, il remarqua également que « les groupes minoritaires – les noirs, les chicanos – ne sont pas, en général, à l’origine de la pollution, et qu’ils sont au contraire les premiers à souffrir de celle qui est produite par les blancs »[11].
S’il m’a semblé important de revenir ici sur la complexité des positions néomalthusiennes sur la question raciale, c’est pour souligner que le néo-malthusianisme ne se confond pas nécessairement avec des écologies politiques identitaires, nationalistes ou anti-immigrationnistes. Trop souvent aujourd’hui, les recherches ou les articles consacrés à l’éco-fascisme ont tendance à assimiler deux sensibilités qui se sont souvent rencontrées mais qui demeurent pourtant irréductibles l’une à l’autre. Pour le dire simplement, si les éco-fascismes attirent presque toujours l’attention sur la surpopulation, les néo-malthusiens ou les écologistes sensibles à la question démographique ne sont en revanche pas tous, loin s’en faut, disposés à adopter une conception racialisée des populations considérées comme « surnuméraires », ni à prôner des mesures autoritaires pour réduire la population mondiale. Il ne faut pas perdre de vue que le constat inquiet d’un monde plein et même trop-plein a été largement partagé dans l’écologie politique des années 1970, y compris au sein de ses courants les plus anti-autoritaires et les moins enclins au racisme et au rejet de l’immigration.
Ainsi, en Norvège, le fondateur et principal théoricien de l’écologie profonde – et ancien résistant au nazisme, sans doute est-il opportun de le rappeler ici -, Arne Naess, a placé la décroissance démographique au cœur de la plateforme de son mouvement : «L’épanouissement de la vie et des cultures humaines, écrit-il, est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non-humaine requiert une telle diminution »[12]. En France, dans les années 1970 (très exactement le 2 septembre 1974), André Gorz, un auteur que l’on a pas vraiment coutume d’associer à des positions nationalistes ou racistes, écrit dans le Nouvel Observateur un article au titre inquiet, « Douze milliard d’hommes ? » et prône une relance des campagnes antinatalistes dans les pays du Sud. Peu après, Françoise d’Eaubonne, pionnière de l’éco-féminisme, dénonce vigoureusement le « lapinisme phallocratique » et ses effets dévastateurs sur la planète.
Notes
[1] Garett Hardin, La tragédie des communs. Paris, PUF, 2018.
[2] Cité par Thomas Robertson, The Malthusian Moment, opus cité, p. 193.
[3] Il envisagea néanmoins d’y placer des contraceptifs chimiques dans le réseau d’eau potable avant d’admettre que ce n’était pas envisageable !
[4] F. Locher, « Les pâturages de la guerre froide », opus cité, p. 27.
[5]Fairfield Osborn, La planète au pillage. Arles, Actes Sud, 2008.
[6]Cité par T. Robertson, The Malthusian Moment, opus cité, p. 55.
[7] Paul R. Ehrlich, Loy Bilderback, Anne H. Ehrlich, Golden door : international migration, Mexico and the United States. New York, Wideview Books, 1981.
[8] Des groupes afro-américains craignent même que ce contrôle ne soit exercé pour entraver la croissance démographique de leurs communautés et pour neutraliser ainsi la menace politique qu’elles représentent dans un contexte où les émeutes sont nombreuses. Certains vont même jusqu’à évoquer un « génocide des noirs ».
[9]Cité par T. Robertson, The Malthusian Moment, opus cité, p. 173.
[10]Ibid., p. 173.
[11]Ibid., p. 174.
[12] https://biosphere.ouvaton.org/reperes/592-ecologie-profond
Rassemblement national, écologisme superficiel
Pierre Madelin : « Jean-Marie Le Pen était généralement hostile à la protection de l’environnement, avec des accents parfois climatosceptiques. En 2017, il a par exemple déclaré que « sans le réchauffement climatique on mourrait de froid ». Il avait comparé, en 1989, le parti écologiste à une pastèque, expliquant que ses adhérents étaient verts à l’extérieur, rouge à l’intérieur. Mais face aux évolutions de la société, le RN se saisit depuis quelques années de différents enjeux qu’il négligeait auparavant. C’est le cas des droits des femmes, de la cause LGBT et, désormais, de l’écologie. Le parti met en avant le localisme. Le localisme sert de passerelle vers les thèmes identitaires et nationalistes. Marine Le Pen déclarait, en 2019, qu’il fallait protéger « les écosystèmes, à commencer par les écosystèmes humains que sont les nations ». A la même époque, Jordan Bardella, qui n’était pas encore le président du Rassemblement national, affirmait, pour sa part, que « le meilleur allié de l’écologie, c’est la frontière ». Si l’on peut relocaliser les activités économiques, il faudra aussi relocaliser les êtres humains, ceux que l’extrême droite estime ne pas être de véritables Français. La critique des énergies renouvelables est un autre élément important de ce nouveau discours. Les éoliennes sont particulièrement visées. Elles contreviendraient au localisme, car elles seraient imposées sans concertation dans les territoires. A l’inverse, le nucléaire est défendu, il représente aux yeux du RN un socle sur lequel asseoir la souveraineté énergétique de la France et permet de décarboner l’économie. Ces propos relèvent d’un « greenwashing » nationaliste. On voit que le RN reste fortement imprégné par son fond libéral, productiviste et technosolutionniste.
A travers le monde, les principales forces politiques d’extrême droite rejettent généralement l’écologie. L’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, Donald Trump aux Etats-Unis, Vladimir Poutine en Russie, ou encore le premier ministre indien, Narendra Modi, sont des défenseurs des énergies fossiles, des acteurs de la déforestation, et s’opposent aux accords internationaux en faveur du climat. »