Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », sera éditée chaque jour par épisode tout au cours des mois de juillet et août sur ce blog biosphere.
Malthusiens contre anti-malthusiens
Malgré les tensions objectivement croissantes entre population et production alimentaire, le message malthusien a encore du mal à passer en France, même du côté de ceux qui produisent le mensuel « La Décroissance ». A la question, La décroissance est-elle malthusienne ?, leur organisme de théorisation, l’IEEDS (institut d’études économiques et sociales pour la décroissance soutenable) répond ainsi : « La décroissance pense qu’il n’y a pas trop d’êtres humains sur terre, mais trop d’automobilistes. » (décembre 2006, supplément inséré dans La décroissance n° 35). Voici mon dialogue en 2008-2009 avec l’administrateur du journal Bruno Clémentin, humaniste convaincu. Bruno va toujours se placer du côté de l’inquisiteur sans jamais développer sa propre conception de l’optimum de population :
Bruno Clémentin : « Comment envisager d’assurer la décroissance rapide de la population humaine ? »
Michel Sourrouille : Je précise d’abord que je n’ai jamais envisagé une décroissance « rapide » de la population parce que c’est impossible. Avec les guerres, les pertes humaines peuvent être très nombreuses. Mais ces événements conjoncturels sont suivis le plus souvent par un boom démographique, il n’y a donc pas globalement décroissance. Pour moi personnellement la « rapidité » n’est pas un enjeu car je ne vis pas dans l’attente de résultats ; il me suffit de vivre de façon intègre et en harmonie avec ce que je crois.
Bruno Clémentin : mais aucun des débatteurs ou « théoricien » de la dénatalité ne répond à deux questions fondamentales :
1 – par qui on commence ?
2 – comment on fait ?
Michel Sourrouille :
1) par qui on commence apporte beaucoup trop de réponses possibles ! En effet les humains ont tellement de façon de s’entretuer après s’être trouvé un ennemi que l’humain à abattre n’est pas désigné par avance. En tant qu’objecteur de conscience, je ne me sens pas concerné par ce type de solution militarisée (la guerre comme infanticide différé). Il faudrait donc commencer par soi, devenir objecteur de croissance : notre sens des limites devrait porter aussi bien sur nos consommations personnelles (simplicité volontaire) que sur notre fécondité.
2) comment on fait la dénatalité ? Par la limitation volontaire des naissances, on a tellement de moyens techniques pour cela. Ainsi les néomalthusiens actuels se sont exprimés en France et ailleurs de façon indirecte, par la création du planning familial, du MLAC et du MLF. Aujourd’hui le préservatif n’est pas d’abord un moyen de lutte contre le SIDA, mais un moyen de limiter sa fécondité naturelle. Albert Jacquart a répondu à l’aspect limitation des libertés : « Devant les dangers d’une Terre saturée d’hommes, la tentation est grande de renoncer peu à peu à ce luxe inutile qu’est la liberté. Dans quelques siècles, la fécondité leur sera peut-être imposée, la gestion de leur effectif résultera des calculs de quelques ordinateurs. Le seul espoir est que les pays riches mettent une part de leurs ressources surabondantes à la disposition des systèmes éducatifs des pays pauvres ». (l’Explosion démographique d’Albert Jacquard – éd. Le Pommier, 2006).
L’éducation est une réponse nécessaire pour une gouvernance démographique non autoritaire, elle commence par l’éducation des femmes : par exemple le taux de scolarisation entre garçons et filles est encore trop inégal dans les pays moins développés. Or les études montrent que des femmes mieux éduquées limitent le pouvoir des hommes et contrôlent davantage leur fécondité. Même dans les pays riches, le statut de « mère » est encore trop valorisé malgré les discours de Simone de Beauvoir. Le point de vue d’Yves Cochet d’allocations familiales inversées se comprend face à un État français ouvertement repopulateur. Mais si l’État était vraiment neutre en matière démographique comme je le voudrais, il n’imposerait aux couples voulant des enfants aucune bonification ou sanction.
Bruno Clémentin : une « politique » ne peut se satisfaire du « on commence d’abord par soi », elle est la somme des actions en vue d’un but appliqué, avec ou sans leur consentement, à des collectifs : pour ceux qui veulent faire de la démographie une politique, il faut exprimer clairement le but : quelle quantité d’être humains, à quelle échéance, le reste est vraiment une perte de temps.
Michel Sourrouille : La politique ne consiste pas seulement à faire du chiffre. Le gouvernement chinois ne dit pas qu’il désire atteindre 1 milliard ou 600 millions de Chinois dans 5 ans ou dans trois générations. Il se contente d’appliquer l’article 25 de leur constitution : « L’État encourage la planification familiale pour assurer l’harmonie entre la croissance démographique et les plans de développement économique et social. » Comme la population chinoise a été jugée trop importante, la Chine a mis en place une politique de l’enfant unique, assorti de règles et de sanctions si on n’applique pas la norme.
Si j’avais à présenter un programme politique en France, je dirais que l’empreinte écologique des Français est telle que nous ne pouvons pas généraliser notre mode de vie et multiplier nos enfants. Que nos concitoyens comprennent enfin que n’avons pas trois ou quatre planètes à notre disposition ! Il faut donc construire à la fois une décroissance économique par la limitation de nos besoins et une décroissance démographique grâce à la neutralité de l’Etat en matière d’allocations familiales et de quotient familial (qui seraient donc supprimés) : pas de prime à des enfants surnuméraires. Dans l’éducation nationale, il sera mis en place une éducation posant le problème d’être ou non futurs parents. L’éducation sexuelle ne sera pas limitée à la présentation des moyens de contraception, mais à la responsabilité des couples par rapport aux limites de la planète. Face à une crise systémique, écologique et financière, il nous faut une éducation systémique.
Bruno Clémentin : Le « contrôle de la population » n’est PAS le contrôle des naissances.
Michel Sourrouille : Revenons à la base, ce que disait Malthus. Il constatait une rupture inéluctable entre notre ponction sur les ressources agricoles, soumise à la loi des rendements décroissants, et un accroissement exponentiel de la population dans les conditions naturelles de notre fécondité. Loin de lui l’idée de « contrôler la population », depuis le contrôle aux frontières jusqu’au fichage des autochtones ! Il suffirait de contrôler la natalité. Mais comme Malthus ressemblait aux papes actuels, il refusait les moyens de contraception pour ne retenir que la limitation de l’exercice de notre sexualité : pas de sexe hors mariage, etc.. Selon Malthus, si nous ne contrôlons pas notre natalité, alors il y aura contrôle de la population par augmentation de la mortalité (famine, épidémies et guerres).
Bruno Clémentin : Le contrôle des naissances n’est pas réduit à l’éducation et la liberté des femmes mais autant par la liberté et l’éducation des hommes, c’est pour avoir méconnu (et méconnaître) cette évidence que les « malthusiens » tourne en rond.
Michel Sourrouille : il s’agit bien sûr d’éduquer à la fois les hommes et les femmes. Pour Malthus, cela passait par l’intériorisation des couples du nécessaire retard à l’âge du mariage et à l’acceptation d’une abstinence prolongée. Tu ne peux pas reprocher au discours de Malthus, ponctuel et daté historiquement, d’être incomplet.
Bruno Clémentin : L’éducation et la liberté des hommes et des femmes n’est pas « négociable » et ne doit pas être assujetti à des demandes annexes, sauf à se conduire comme les colons et les missionnaires religieux.
Michel Sourrouille : je ne comprends pas à quoi tu fais implicitement référence dans cette phrase…
Bruno Clémentin : pour illustrer mes propos montrant que se focaliser sur le contrôle des naissances est inopérant, lorsque René Dumont visite la Chine (en 1975), il sort cette énormité (vu d’aujourd’hui) et Dumont n’était pas un plaisantin et connaissait le sujet : « … cette baisse du taux de croissance [de la population], mais il ne parle que de la baisse contrôlée de la natalité… va se poursuivre sans doute de plus en plus rapidement ; la Chine ne dépassera peut-être pas le chiffre fatidique d’un milliard d’habitants… » ; il ne s’est trompé que de 500 millions… sur moins de deux générations ; c’est là une démonstration s’il en fallait une de l’échec absolu du contrôle de la population par le contrôle des naissances.
Michel Sourrouille : La Chine grâce à sa politique de l’enfant unique a économisé 400 millions de naissance. Cela ne veut pas dire que c’est un succès, cela ne veut pas dire non plus que c’est un échec. Une gouvernance démographique est très difficile à mettre en place. En Chine il y a la préférence pour les garçons, le travail de la terre, l’absence de régime retraite… et même la volonté des riches chinois de faire autant d’enfants qu’ils le veulent puisqu’ils peuvent assumer les amendes. En France, les résistances seraient aussi fortes pour d’autres raisons : il y a le lobby des démographes, le soutien d’une grande partie des intellectuels…
Bruno Clémentin : Enfin il y a un préambule, si on parle de contrôle de la population dans un « cadre » écologique ou de soutenabilité ou de « capacité de charge », c’est la limite posée du nombre optimal d’être humains sur terre. Sauf à parler dans le vide, tu dois donc donner le nombre que tu juges optimal.
Michel Sourrouille : en 1970, une étude des Nations unies répondait à la question suivante : « Étant donné la capacité agricole et industrielle mondiale, le développement technologique et l’exploitation des ressources, combien de personnes pourrait-on faire vivre sur Terre avec le niveau de vie actuel de l’Américain moyen ? La réponse était : 500 millions tout juste. » Actualisons. Selon Yves Cochet, « Il existe une corrélation historique entre la quantité totale d’énergie dans le monde et, d’un autre, le niveau démographique et le niveau de vie. Cette corrélation est si forte qu’on peut émettre l’hypothèse d’une causalité : moins il y aura d’énergie disponible, moins la planète pourra accueillir d’individus à un certain niveau de vie. Si cette hypothèse est vraie, comme je le crois, le nombre maximal d’humains sur terre, au niveau de vie moyen actuel, déclinera d’environ 7 milliards vers 2025 à environ 5 milliards en 2050, puis 2 à 3 milliards en 2100. En résumant dans l’expression « niveau de vie moyen » de la Terre le rapport entre la consommation d’énergie par personne et le nombre de la population, on pourrait énoncer que plus le niveau de vie est élevé, moins la planète peut accueillir de personnes. »
A part le blocage énergétique, il y a bien d’autres signes qui montrent que la capacité de charge de notre planète ne peut suffire à notre population actuelle : stress hydrique, désertification des sols, déforestation, épuisement des ressources halieutiques, perte de biodiversité, etc. De toute façon, je ne peux pas à donner un nombre optimal si ce n’est qu’indicatif car la réalité est la résultante de déterminants innombrables, y compris des jugements de valeur. Pour résumer, il faut à la fois parler du nombre d’habitants à un moment donné sur un territoire donné, de leur taux de croissance démographique, des échanges durables ou non avec les autres territoires, de leur volonté de puiser plus ou moins fortement dans les ressources de la planète (niveau de vie), c’est-à-dire de l’évolution des besoins économiques qui dépendent aussi de considérations sociologiques, etc.
Le problème avec les humains, c’est qu’ils adaptent le milieu et qu’ils savent s’adapter. Des rats dans une cage, même bien nourris, ne supportent pas une densité trop forte ; on peut entasser des humains dans des trains vers l’holocauste à cause de l’idéologie du lebensraum allemand, les déportés ne diront rien ou presque. Le problème essentiel reste entier, nous avons restreint dans de fortes proportions notre espace vital et nous subissons tous les désagréments d’une surpopulation absolue pour ne spa avoir agi à temps sur notre fécondité. Cela est d’autant plus dangereux que la méthode ancestrale de migration à cause de la surpopulation relative d’un territoire ne peut plus servir de soupape de sécurité.
Bruno Clémentin : quand tu confronteras ces deux données physiques (le nombre actuel et celui à obtenir), il te faudra alors choisir par qui tu commences.
Michel Sourrouille : Tu te répètes ! Comme je me situe dans une perspective de contrôle de la natalité librement choisi par les individus et les communautés, je t’ai déjà expliqué par quoi on commence : on agit d’abord sur soi-même et sur sa propre fécondité, on fait aussi de l’éducation, c’est-à-dire l’apprentissage des contraintes (empreinte écologique, réchauffement climatique, pic énergétique, capacité de charge, problème migratoire…). Si les humains préfèrent la famine, la guerre ou les épidémies pour contrôler leur population de façon non choisie (par la mortalité), moi cela ne me concerne plus.
Mais au moment où l’homme met en péril les conditions de sa propre survie, le souvenir de Malthus nous rappelle la nécessité absolue d’une pensée des limites. Je pense raisonner juste. Le problème, c’est qu’il y a un monde entre la théorie et mon propre vécu personnel. Avoir aucun, un seul ou plusieurs enfants découle d’un tas de paramètres que nous maîtrisons mal. Personnellement mon idéal serait « un seul enfant par couple ». Mais je me suis mis en ménage avec une femme qui en avait déjà deux d’un premier mariage. Nous en avons fait un autre, le seul enfant biologique que j’ai eu. Comment on compte, trois enfants pour trois personnes, déjà deux pour deux ? Mais l’autre père s’est remarié, il a eu d’autres enfants : comment on compte ? J’ai adopté un enfant, comment on compte ? A l’heure de la fugacité des sentiments et de la croyance en sa liberté toute puissante, le modèle chinois d’un enfant « par couple » semble donc difficile à généraliser. Pourtant cela reste mon modèle. J’ai passé mon existence à éduquer les enfants des autres comme si c’était les miens. Cela seul compte dans la vie vécue de façon humaine.
Je veux ajouter une réflexion importante pour qui veut défendre les intérêts de la Biosphère. Jusqu’à présent nous n’avons envisagé que la taille de la population humaine face aux ressources limitées de la planète. Il ne faudrait pas oublier que l’expansionnisme humain (démographique et économique) réduit l’espace vital de toutes les autres espèces, d’où la dramatique perte de biodiversité que nous connaissons à l’heure actuelle. C’est aussi pour cela que la philosophie de l’écologie profonde est devenue pour moi incontournable. Ainsi ce point de la plate-forme formulée par Arne Naess : « L’épanouissement de la vie et des cultures humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non-humaine requiert une telle diminution. »
Sur mon blog biosphere.ouvaton.org, j’ai reçu en novembre 2009 le commentaire suivant : « Ne pensez-vous pas que l’homme fait partie de la nature et que sa population s’autorégulera (comme toute population animale) ». Le problème, c’est que l’animal humain sait modifier son milieu pour l’épuiser au maximum et donc proliférer sans commune mesure avec les possibilités durables de son écosystème. La régulation naturelle intervient bien sûr à un moment ou à un autre, mais trop tard, pas de façon raisonnée (guerre, épidémies, famine…). La nature ne raisonne pas, la nature ne négocie pas… Plus nous attendrons pour maîtriser notre croissance démographique, plus la réponse de la biosphère sera violente. Les microbes et les virus commencent à se révolter contre l’élevage en batterie des animaux et des pauvres .
Malthus est toujours d’actualité. (la suite, demain)
Si tu ne veux pas attendre demain, à toi de choisir ton chapitre :
Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE
00. Fragments préalables
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
20. Une UTOPIE pour 2050
21. Ma philosophie : l’écologie profonde
22. Fragments de mort, fragment de vie
23. Sous le signe de mon père